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LE PORTRAIT

— C’est une vraie charge à monter, monsieur, dit le petit homme, haletant, lorsqu’ils arrivèrent au dernier palier. Il épongeait son front dénudé.

— Je crois que c’est en effet très lourd, murmura Dorian, ouvrant la porte de la chambre qui devait receler l’étrange secret de sa vie et dissimuler son âme aux yeux des hommes.

Il n’était pas entré dans cette pièce depuis plus de quatre ans, non, vraiment pas depuis qu’elle lui servait de salle de jeu lorsqu’il était enfant, et de salle d’étude un peu plus tard. C’était une grande pièce, bien proportionnée, que lord Kelso avait fait bâtir spécialement pour son petit-fils, pour cet enfant que sa grande ressemblance avec sa mère, et d’autres raisons lui avaient toujours fait haïr et tenir à distance. Il sembla à Dorian qu’elle avait peu changé. C’était bien là, la vaste cassone italienne avec ses moulures dorées et ternies, ses panneaux aux peintures fantastiques, dans laquelle il s’était si souvent caché étant enfant. C’étaient encore les rayons de bois vernis remplis des livres de classe aux pages cornées. Derrière, était tendue au mur la même tapisserie flamande déchirée, où un roi et une reine fanés jouaient aux échecs dans un jardin, tandis qu’une compagnie de fauconniers cavalcadaient au fond, tenant leurs oiseaux chaperonnés au bout de leurs poings gantés. Comme tout cela revenait à sa mémoire ! Tous les instants de son enfance solitaire s’évoquait pendant qu’il regardait autour de lui. Il se rappela la pureté sans tache de sa vie d’enfant et il lui sembla horrible que le fatal portrait dût être caché dans ce lieu. Combien peu il eût imaginé, dans ces jours lointains, tout ce que sa vie lui réservait !

Mais il n’y avait pas dans la maison d’autre pièce