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LE PORTRAIT

qu’il y voyait de reproches et de censures, comme les remontrances de Basil à propos de Sibyl Vane, lui semblaient futiles ! Combien futiles et de peu d’intérêt ! Sa propre âme le regardait de cette toile et le jugeait. Une expression de douleur couvrit ses traits et il jeta le riche linceul sur le tableau. Au même instant on frappa à la porte, il passait de l’autre côté du paravent au moment où son domestique entra.

— Les encadreurs sont là, monsieur.

Il lui sembla qu’il devait d’abord écarter cet homme. Il ne fallait pas qu’il sût où la peinture serait cachée. Il y avait en lui quelque chose de dissimulé, ses yeux étaient inquiets et perfides. S’asseyant à sa table il écrivit un mot à lord Henry, lui demandant de lui envoyer quelque chose à lire et lui rappelant qu’ils devaient se retrouver à huit heures un quart le soir.

— Attendez la réponse, dit-il en tendant le billet au domestique, et faites entrer ces hommes.

Deux minutes après, on frappa de nouveau à la porte et M. Hubbard lui-même, le célèbre encadreur de South Audley Street, entra avec un jeune aide à l’aspect rébarbatif. M. Hubbard était un petit homme florissant aux favoris roux, dont l’admiration pour l’art était fortement atténuée par l’insuffisance pécuniaire des artistes qui avaient affaire à lui. D’habitude il ne quittait point sa boutique. Il attendait qu’on vînt à lui. Mais il faisait toujours une exception en faveur de Dorian Gray. Il y avait en Dorian quelque chose qui charmait tout le monde. Rien que le voir était une joie.

— Que puis-je faire pour vous, M. Gray ? dit-il en frottant ses mains charnues et marquées de taches de rousseur ; j’ai cru devoir prendre pour moi l’honneur de vous le demander en personne ; j’ai justement un cadre de toute