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LE PORTRAIT

raison. Ce portrait ne peut être montré. Il ne faut pas m’en vouloir, Dorian, de tout ce que je viens de vous dire. Comme je le disais une fois à Harry, vous êtes fait pour être aimé…

Dorian Gray poussa un long soupir. Ses joues se colorèrent de nouveau et un sourire se joua sur ses lèvres. Le péril était passé. Il était sauvé pour l’instant. Il ne pouvait toutefois se défendre d’une infinie pitié pour le peintre qui venait de lui faire une si étrange confession, et il se demandait si lui-même pourrait jamais être ainsi dominé par la personnalité d’un ami. Lord Henry avait ce charme d’être très dangereux, mais c’était tout. Il était trop habile et trop cynique pour qu’on pût vraiment l’aimer. Pourrait-il jamais exister quelqu’un qui le remplirait d’une aussi étrange idolâtrie ? Était-ce là une de ces choses que la vie lui réservait ?…

— Cela me paraît extraordinaire, Dorian, dit Hallward que vous ayez réellement vu cela dans le portrait. L’avez-vous réellement vu ?

— J’y voyais quelque chose, répondit-il, quelque chose qui me semblait très curieux.

— Bien, admettez-vous maintenant que je le regarde ?

Dorian secoua la tête.

— Il ne faut pas me demander cela, Basil, je ne puis vraiment vous laisser face à face avec ce tableau.

— Vous y arriverez un jour ?

— Jamais !

— Peut-être avez-vous raison. Et maintenant, au revoir, Dorian. Vous avez été la seule personne dans ma vie qui ait vraiment influencé mon talent. Tout ce que j’ai fait de bon, je vous le dois. Ah ! vous ne savez pas ce qu’il m’en coûte de vous dire tout cela !…

— Mon cher Basil, dit Dorian, que m’avez-vous dit ?