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DE DORIAN GRAY

être à la merci de mes émotions. Je veux en user, les rendre agréable et les dominer.

— Dorian, ceci est horrible !… Quelque chose vous a changé complètement. Vous avez toujours les apparences de ce merveilleux jeune homme qui venait chaque jour à mon atelier poser pour son portrait. Mais alors vous étiez simple, naturel et tendre. Vous étiez la moins souillée des créatures. Maintenant je ne sais ce qui a passé sur vous. Vous parlez comme si vous n’aviez ni cœur ni pitié. C’est l’influence d’Harry qui a fait cela, je le vois bien…

Le jeune homme rougit et allant à la fenêtre, resta quelques instants à considérer la pelouse fleurie et ensoleillée.

— Je dois beaucoup à Harry, Basil, dit-il enfin, plus que je ne vous dois. Vous ne m’avez appris qu’à être vain.

— Parfait ?… aussi en suis-je puni, Dorian, ou le serai-je quelque jour.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, Basil, s’écria-t-il en se retournant. Je ne sais ce que vous voulez ! Que voulez-vous ?

— Je voudrais retrouver le Dorian Gray que j’ai peint, dit l’artiste, tristement.

— Basil, fit l’adolescent, allant à lui et lui mettant la main sur l’épaule, vous êtes venu trop tard. Hier lorsque j’appris que Sibyl Vane s’était suicidée…

— Suicidée, mon Dieu ! est-ce bien certain ? s’écria Hallward le regardant avec une expression d’horreur…

— Mon cher Basil ! Vous ne pensiez sûrement pas que ce fut un vulgaire accident. Certainement, elle s’est suicidée.

L’autre enfonça sa tête dans ses mains.