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LE PORTRAIT

Il se dressa, alla en hâte tirer le paravent sur le portrait, et ôta le verrou de la porte.

— Je suis vraiment fâché de mon insistance, Dorian, dit lord Henry en entrant. Mais vous ne devez pas trop songer à cela.

— À Sibyl Vane, voulez-vous dire, interrogea le jeune homme.

— Naturellement, répondit lord Henry s’asseyant dans un fauteuil, en retirant lentement ses gants jaunes… C’est terrible, à un certain point de vue mais ce n’est pas votre faute. Dites-moi, est-ce que vous êtes allé dans les coulisses après la pièce ?

— Oui…

— J’en étais sûr. Vous lui fîtes une scène ?

— Je fus brutal, Harry, parfaitement brutal. Mais c’est fini maintenant. Je ne suis pas fâché que cela soit arrivé. Cela m’a appris à me mieux connaître.

— Ah ! Dorian, je suis content que vous preniez ça de cette façon. J’avais peur de vous voir plongé dans le remords, et vous arrachant vos beaux cheveux bouclés…

— Ah, non, j’en ai fini !… dit Dorian, secouant la tête en souriant… Je suis à présent parfaitement heureux… Je sais ce qu’est la conscience, pour commencer ; ce n’est pas ce que vous m’aviez dit ; c’est la plus divine chose qui soit en nous… Ne vous en moquez plus, Harry, au moins devant moi. J’ai besoin d’être bon… Je ne puis me faire à l’idée d’avoir une vilaine âme…

— Une charmante base artistique pour la morale, Dorian. Je vous en félicite, mais par quoi allez-vous commencer.

— Mais, par épouser Sibyl Vane…

— Épouser Sibyl Vane ! s’écria lord Henry, sursau-