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DE DORIAN GRAY

âme emprisonnée… Vous m’avez appris ce qu’était réellement la réalité ! Ce soir, pour la première fois de ma vie, je perçus le vide, la honte, la vilenie de ce que j’avais joué jusqu’alors. Ce soir, pour la première fois, j’eus la conscience que Roméo était hideux, et vieux, et grimé, que faux était le clair de lune du verger, que les décors étaient odieux, que les mots que je devais dire étaient menteurs, qu’ils n’étaient pas mes mots, que ce n’était pas ce que je devais dire !… Vous m’avez élevée dans quelque chose de plus haut, dans quelque chose dont tout l’art n’est qu’une réflexion. Vous m’avez fait comprendre ce qu’était véritablement l’amour ! Mon amour ! Mon amour ! Prince Charmant ! Prince de ma vie ! Je suis écœurée des ombres ! Vous m’êtes plus que tout ce que l’art pourra jamais être ! Que puis-je avoir de commun avec les fantoches d’un drame ? Quand j’arrivai ce soir, je ne pus comprendre comment cela m’avait quittée. Je pensais que j’allais être merveilleuse et je m’aperçus que je ne pouvais rien faire. Soudain, la lumière se fit en moi, et la connaissance m’en fut exquise… Je les entendis siffler, et je me mis à sourire… Pourraient-ils comprendre un amour tel que le nôtre ? Emmène-moi, Dorian, emmène-moi, quelque part où nous puissions être seuls. Je hais la scène ! Je puis mimer une passion que je ne ressens pas, mais je ne puis mimer ce quelque chose qui me brûle comme le feu ! Oh ! Dorian ! Dorian, tu comprends maintenant ce que cela signifie. Même si je parvenais à le faire, ce serait une profanation, car pour moi, désormais, jouer, c’est d’être amoureuse ! Voilà ce que tu m’as faite !…

Il tomba sur le sofa et détourna la tête.

— Vous avez tué mon amour ! murmura-t-il.

Elle le regarda avec admiration et se mit à rire…