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LE PORTRAIT

d’essence supérieure. Son corps s’inclinait, pendant qu’elle dansait, comme dans l’eau s’incline un roseau. Les courbes de sa poitrine semblaient les courbes d’un blanc lys. Ses mains étaient faites d’un pur ivoire.

Cependant, elle était curieusement insouciante ; elle ne montrait aucun signe de joie quand ses yeux se posaient sur Roméo. Le peu de mots qu’elle avait à dire :

Good pilgrim, you do wrong your hand too much
Which mannerly devotion shows in this ;
For saints have bands that pilgrims’ hands do touch
And palm to palm is holy palmers’ kiss…[1]


et le bref dialogue qui suit, furent dits d’une manière plutôt artificielle… Sa voix était exquise, mais au point de vue de l’intonation, c’était absolument faux. La couleur n’y était pas. Toute la vie du vers était enlevée ; on n’y sentait pas la réalité de la passion.

Dorian pâlit en l’observant, étonné, anxieux… Aucun de ses amis n’osait lui parler ; elle leur semblait sans aucun talent ; ils étaient tout à fait désappointés.

Ils savaient que la scène du balcon du second acte était l’épreuve décisive des actrices abordant le rôle de Juliette ; ils l’attendaient tous deux ; si elle y échouait, elle n’était bonne à rien.

Elle fut vraiment charmante quand elle surgit dans le clair de lune ; c’était vrai ; mais l’hésitation de son jeu était insupportable et il devenait de plus en plus mauvais à mesure qu’elle avançait dans son rôle.


  1. Bon pèlerin, vous êtes trop sévère pour votre main
    ––Qui n’a fait preuve en ceci que d’une respectueuse dévotion ;
    Les saintes mêmes ont des mains que peuvent toucher les mains des pèlerins
    ––Et cette étreinte est un pieu baiser…