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LE PORTRAIT

leurs parents ; en vieillissant ils les jugent ; quelquefois ils les oublient. Sa mère ! Il avait en lui-même une question à résoudre à propos d’elle, une question qu’il couvait depuis des mois de silence. Une phrase hasardée qu’il avait entendue au théâtre, un ricanement étouffé qu’il avait saisi un soir en attendant à la porte des coulisses, lui avaient suggéré d’horribles pensées. Tout cela lui revenait à l’esprit comme un coup de fouet en pleine figure. Ses sourcils se rejoignirent dans une contraction involontaire, et dans un spasme douloureux, il se mordit la lèvre inférieure.

— Vous n’écoutez pas un mot de ce que je dis, Jim, s’écria Sibyl, et je fais les plans les plus magnifiques sur votre avenir. Dites-donc quelque chose…

— Que voulez-vous que je vous dise ?

— Oh ! que vous serez un bon garçon et que vous ne nous oublierez pas, répondit-elle en lui souriant.

Il haussa les épaules.

— Vous êtes bien plus capable de m’oublier que moi de vous oublier, Sibyl.

Elle rougit…

— Que voulez-vous dire, Jim ?

— Vous avez un nouvel ami, m’a-t-on dit. Qui est-il ? Pourquoi ne m’en avez-vous pas encore parlé ? Il ne vous veut pas de bien.

— Arrêtez, Jim ! s’écria-t-elle ; il ne faut rien dire contre lui. Je l’aime !

— Comment, vous ne savez même pas son nom, répondit le jeune homme. Qui est-il ? j’ai le droit de le savoir.

— Il s’appelle le Prince Charmant. N’aimez-vous pas ce nom. Méchant garçon, ne l’oubliez jamais. Si vous l’aviez seulement vu, vous l’auriez jugé l’être le plus