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Il me semblait que j’avais la main appuyée sur le cœur de Shakespeare et que je comptais un à un tous les battements et toutes les pulsations de la passion.

Je songeai au merveilleux acteur adolescent et je vis son visage dans chaque vers.

Deux sonnets, je m’en souviens, me frappèrent particulièrement : c’étaient le 53e et le 67e.

Dans le premier de ces sonnets, Shakespeare, louant Willie Hughes de la souplesse de son jeu, du vaste champ de ses rôles, un champ qui s’étend de Rosalinde à Juliette et de Béatrice à Ophélie, lui dit :

De quelle substance êtes-vous donc fait, vous qu’escortent des millions d’ombres étranges ? Chaque être n’a qu’une ombre unique, et vous, qui n’êtes qu’un pourtant, vous prêtez votre ombre à tout,

vers qui étaient inintelligibles s’ils ne s’adressaient pas à un acteur, car le mot ombre avait au temps de Shakespeare un sens qui se rattachait à la scène.