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« trompe-l’œil ». Je ne pouvais détourner son attention ; son œil demeurait fixé sur l’œuvre elle-même, dans ce qu’elle avait vraiment de difficile, et c’étaient ces difficultés que j’avais toujours éludées ou cachées par de jolies taches de couleur. Mais comme il mettait tous mes mensonges à nu !

Je relevai de nouveau la tête et j’aperçus, pour la première fois, cette esquisse de l’âne, qui était accrochée au mur près du lit. Mrs Stroud me dit après que c’était la dernière œuvre de son mari, — un souvenir fixé d’une main tremblante, à l’époque où il était allé dans le Devonshire pour se soigner d’une crise au cœur. Ce n’était qu’une note prise à la hâte, mais c’était aussi toute son histoire artistique. Chaque trait révélait des années de travail persistant, tenace, dédaigneux. Un homme qui aurait toujours navigué avec le courant n’eût jamais eu la force de remonter le fleuve ainsi.

Je me remis à mon travail, et je continuai à tâtonner et à patauger ; puis je regardai l’âne de nouveau. Je vis que dès le premier trait de son esquisse Stroud avait su où il voulait en venir. Il avait possédé son sujet, il se l’était assimilé, il l’avait pour ainsi dire réincarné. Et moi ? Je n’avais créé aucune de mes œuvres, —