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loups s'enfuyaient en hurlant sous les étincelles qui brûlaient leur fourrure. A la fin\ il ne resta plus que le vieil Akela, Bagheera et peut-être dix loups qui avaient-pris le parti de Mowgli. Alors, Mowgli commença de sentir quelque chose de douloureux au fond de lui-même, quelque chose qu'il ne se rappelait pas avoir jamais senti jusqu'à ce jour; il reprit ha- léine et sanglota, et les larmes coulèrent sur sorb visage. s· Qu'est-ce que c'est?. Qu'est-ce que c'est ?.dit^il. Je n'ai pas envie de quitter la jungle. et je ne sais pas ce que j'ai. Vais-je mourir, Bagheera? Non, petit frère, ce ne sont que- des larmes, comme il arrive aux hommes, dit Bagheera Maintenant je vois que tu es un homme et non plus un petit d'homme. Oui, la jungle t'est bien ferméedésormais. Laisse-les couler, Mowgli. Ge sont seulement des larmes. Alors Mowgli s'assit, et pleura comme si son cœur allait se briser; il n'avait jamais pleuré auparavant de toute sa vie. « A présent, dit-il, je vais aller vers les hommes, mais d'abord, il faut que je dise adieu à ma mère. » Et il se rendit à la caverne où elle habitait avec père Loup, et il pleura dans sa fourrure, tandis que les quatre petits hur- laient misérablement. « Vous ne m'oublierez pas, dit Mowgli. Jamais tant que nous pourrons suivre une piste dirent les petits. Viens au pied de la colline quand tu seras un homme, et nous te parlerons et nous viendronsdans les terres cultivées pour jouer avec toi la nuit. Reviens bientôt, dit père Loup; sage petite grenouille, reviens-nous bientôt, car nous sommes vieux, ta mère et moi. Reviens bientôt, dit mère Louve, mon petit tout -nu; car écoute, enfant de l'homme, je t'aimais plus que je n'ai jamais aimé mes petits. -t Je reviendrai sûrement, dit Mowgli; et quand je revien- drai, ce sera pour étaler la peau de Shere Khan sur le Rocher du Conseil. Ne m'oubliez pas! Dites-leur dans la jungle de ne jamais m'oublier! »» L'aurore commençait à poindre quand Mowgli descendit la colline, tout seul, en route vers ces êtres mystérieux qu'on ap- pelle les hommes. Rudyard Kipling, Le Livre de la Jungle. Traduction Louis Fabulet et Robert d'Humières (Mercure de France, édit.):