Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/52

Cette page n’a pas encore été corrigée

vais sentir son cœur battre contre mon corps il battait tou- jours si vite « Toc, toc, toc », presque commele bruit des ailes d'un petit oiseau, ou comme le tic tac d'une pendule qui aurait marché trop vite Quand les deux enfants étaient assis dans la cabine et que le vent les berçait de-ci de-là, petit Jean demandait, au bout d'un moment « Où allons-nous?» car il savait qu'il devait poser cette question et qu'elle faisait partie du jeu. Et l'autre disait « Nous passons devant le Spitzberg, en route pour le pôle Nord. » Ou bien « Nous allons aux Indes Orientales. » Et chaque fois, petit Jean Savait ce qu'il avait à répondre et à faire, et il le faisait tou- jours sans se tromper. Quand on allait vers le Spitzberg, il pous- sait de petits cris comme s'il était gelé, et disait « Ah 1 oui c'est pour ça qu'il fait si froid Brrr 1 Voilà un ours blanc qui arrive 1 Il faut le tuer. Pan Il est mort 1 » Quand au contraire on allait vers les Indes, il se mettait à souffler de chaleur « Ah oui disait-il, je vois déjà la grande ville de Calcutta! Voilà déjà le Grand Mogol! Bonjour, monsieur le Grand Mogol avez-vous bien dormi? Et chaque fois qu'il saluait le Grand Mogol, il trouvait ça si drôle, qu'il riait, riait, et que son pauvre petit corps tremblait contre le mien. Et toutes ces belles idées venaient de l'aîné. Toujours il par- tait par le monde avec le petit frère, toujours il racontait, et toujours ce qu'il racontait vivait devant ses yeux. «  Nous tra- versons l'Océan Indien, disait-il. Il est si bleu que lorsqu'on y trempe la main, elle en ressort comme trempée d'encre bleue. Il est si profond, il a bien vingt mille lieues de profondeur Et au fond, tout au fond, c'est merveilleux. Il y a de grandes prairies; mais elles ne sont pas vertes comme celles de la terre elles sont toutes bleues. Et, dans ces prairies, des hommes se promènent et vont à la chasse. Et comme sur la terre on chasse les cerfs et les chevreuils, ils chassent, en bas, les poissons. Mais pas, bien sûr, avec des fusils ils ne partiraient pas dans l'eau. C'est avec des piques. Et ces piques sont tout en or, avec des pointes de diamant.- Maintenant, continua-t-il, nous abordions nous sommes en Chine. Tu vois tous ces Chinois ils sont si jaunes que leurs têtes ont l'air de citrons, et leurs yeux y font de petits points noirs, comme de petits raisins de Corinthe. Tiens 1 voici la Grande Muraille. Sur la Grande Muraille les gardiens vont et viennent; ils ne laissent entrer et sortir que ceux qui savent le mot d'ordre. Et le mot d'ordre c'est « Plum Pudding » Et chaque fois que petit Jean entendait ça, il riait à perdre le souffle, il pressait sa tête et sa figure contre son frère et, à la fin, ne pouvant plus rire, il gémissait « Oh1 oh oh »