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«  Baisse le cou, encore » répète le père, moitié menace, moitié ironie. Poum, très mortifié, porte sa tête comme un saint sacrement. Son père s'éloigne. Poum essaye de prendre un air digne, l'air de quelqu'un qui se serait avisé, pour son plaisir ou par coquet- terie, de se cravater d'un collier de chien. Mais les domestiques ne sont pas dupes, ils ricanent, ils savent. Le cocher imite Poum vlan! il abat la tête; vlan il la décroche; vlan! il la jette par terre. Poum sent des sanglots de rage lui gonfler la poitrine. Il se sauve au fond du jardin. Là, il s'affirme que, s'il pouvait faire manger le cocher par les chevaux, il le ferait. Il se grise d'un rêve rouge, où la maison flambe, où son père est brûlé vif. Non il ne serait pas brûlé, mais il aurait très peur. Poum soulage, par ces divagations insensées, l'horreur que lui inspirent l'injustice des hommes et la tyrannie de sa famille. Peu à peu, son cœur irrité bat moins fort, ses nerfs se calment. Personne en ce moment ne le voit. Si un chat du jardin voisin, à pas de velours, se glisse le long d'une allée. Ses prunelles jaunes, inquiètes et sardoniques, ren- contrent le regard de Poum qui, très mortifié, se dit « Le chat me voit, il comprend, il me nargue 1 Poum a envie ae lui faire peur; puisqu'il porte un collier de chien, n'est-il pas chien? Oui, il se sent devenir chien, il voudrait laper une écuelle de soupe, se coucher en rond, se gratter les puces, courir aux lièvres, aboyer «Ouap! ouap 1» Poum s'élance, les dents montrées le chat s'enfuit, grimpe à un arbre, ricoche sur le mûr du voisin. Poum rit de bon cœur, oublie son humiliation. Être chien est très amusant. Il se poste près de la grille, aboie sourdement à des passants imaginaires. Mais les chiens sont attachés, les chiens de garde; Polyphème l'est. Poum fouille dans ses poches, en tire un bout de ficelle dont les bouts l'attachent du collier à un ar bre. Quand ses parents; s'étant mis à sa recherche, le découvrent au fond du jardin, Poum, parfaitementheureux, accroupi, gratte la terre; il fait un grand trou avec ses pattes de devant, tandis qu'il rejette vivement la terre avec celles de derrière De temps à autre, il pousse un petit aboiement plaintif, et il remue les bam- bines comme un vrai chien. Il Décidément, cet enfant ne sera jamais comme les autres! » déclare le père de Poum. Et il lui ôte le collier, tandis que la ma- man recule, épouvantée, devant cet être fangeux, hérissé, qui, surpris en plein rêve éveillé, ne sait s'il doit rester chien ou re- devenir petit garçon. PAUL et VICTOR Margueritte, Poum (Plon-Nourritet Cie, édit.).