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jeté tant d'autres. En dévalant le tronc (1), je m'écorchai les mains, je m'éraillai les jambes et la poitrine, et j'écrasai les œufs ce fut ce qui me perdit. Le préfet ne m'avait point vu sur l'orme je lui cachai assez bien mon sang, mais il n'y eut pas moyen de lui dérober l'éclatante couleur d'or dont j'étais barbouillé « Allons, me dit-il, monsieur, vous aurez le fouet (2). » Si cet hommem'eût annoncé qu'il commuaitcette peine en celle de mort, j'aurais éprouvé un mouvement de joie. L'idée de la honte n'avait point approché de mon éducation sauvage à tous les âges de ma vie, il n'y a point de supplice que je n'eusse préféré à l'horreur d'avoir à rougir devant une créature vivante. L'indi- gnation s'éleva dans mon coeur; je répondis à l'abbé Égault, avec l'accent non d'un enfant, mais d'un homme, que jamais ni lui ni personne ne lèverait la main sur moi. Cette réponse l'anima; il m'appela rebelle et promit de faire un exemple. «  Nous verrons », répliquai-je, et je me mis à jouer à la balle avec un sang-froid qui le confondit. Nous retournâmes au collège le régent me fit entrer chez lui et m'ordonna de me soumettre. Mes sentiments exaltés firent place à des torrents de larmes. Je représentai à l'abbé Égault qu'il m'avait appris le latin; que j'étais son écolier, son disciple, son enfant; qu'il ne voudrait pas déshonorer son élève, et me rendre la vue de mes compagnons insupportable; qu'il pouvait me mettre en prison, au pain et à l'eau, me priver de mes récréa- tions, me charger de pensums, que je lui saurais gré de cette clémence et l'en aimerais davantage. Je tombai à genoux, je joignis les mains, je le suppliai par Jésus-Christdem'épargner il demeura sourd à mes prières. Je me levai plein de rage et lui lançai dans les jambes un coup de pied si rude qu'il en poussa un cri. Il court en clochant à la porte de sa chambre, la ferme à double tour et revient sur moi. Je me retranche derrière son lit; il m'allonge à travers le lit des coups de férule. Je m'entortille dans la couverture, et, m'animant au combat, je m'écrie Macte animo, ,generost' puer (3) Cette érudition de grimaud (4) fit rire malgré lui mon ennemi il parla d'armistice nous conclûmes un traité; je convins de m'en rapporter à l'arbitrage du principal (5). Sans me don- 1. dévalant le tronc en descendant le long du tronc. 2. Vous aurez le fouet les châtiments corporels étaient en usage dans les collèges, avant la ltévolation. 3. Macle animo, generose puer Allons, courage, noble enfant! (citation du poète latin Stace)'. 4. Grimaud petit écolier, qui n'a encore appris que les éléments. 5. Priu. cipal directeur du collège.