Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/275

Cette page n’a pas encore été corrigée

pecte et je t'aime, ô mon aïeul Reçois, dans l'insondable passé où tu reposes, l'hommage de ma reconnaissance, car je sais combien je te dois. Je sais ce que tes efforts m'ont épargné de misères. Tu ne pensais point à l'avenir, il est vrai, une faible lueur d'intelligence vacillait dans ton âme obscure tu ne pus guère songer qu'à te nourrir et à te cacher. Tu étais homme, pourtant. Un idéal confus te poussait vers ce qui est bon et utile aux hommes. Tu vécus misérable; tu ne vécus pas en vain, et la vie que tu avais reçue si.affreuse, tu la transmis un peu moins mauvaise à tes enfants. Ils travaillèrent à leur tour à la rendre meilleure. Tous, ils ont mis la main aux arts l'un inventa la meule, l'autre la roue. Ils se sont ingéniés, et l'ef- fort continu de tant d'esprits à travers les âges a produit des merveilles qui maintenant embellissent la vie. Et chaque fois qu'ils inventaient un art ou fondaient une industrie, ils fai- saient naître par cela même des beautés morales et créaient des vertus. » Ici, mon père posa sur son bureau la dent préhistorique. Je voulus toucher cette dent qui avait inspiré a mon père des paroles que je ne comprenais pas. Je m'approchai du bureau pour la saisir. Mais mon père tourna la tête de mon côté, me regarda gravement, et dit « Tout beau la tâche n'est pas finie nous serions moins généreux que les hommes des cavernes si, notre tour étant venu, nous ne travailliQns pas à rendre à nos enfants la vie plus sûre et meilleure qu'elle n'est pour nous-mêmes. Il est deux secrets pour cela aimer et con naître. Avec la science et l'amour, on fait le monde. » ANATOLE France, Le Livre de mon Ami (Calmann-Lévy, édit.) .