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«  La gourde cria-t -i'l d'une voix rauque au chauffeur qui lui avait offert à boire. Voilà, camarade. Je savais bien que tu y viendrais. » Il avala une énorme lampée. C'était de l'alcool presque pur mais il avait tellement froid que le trois-six lui parut aussi fade et insipide que de l'eau claire. Quand il eut bu, il lui vint un ¡grand bien-être de chaleur intérieure communiquée à tous ses nerfs, à tous ses muscles, et qui s'exaspéra ensuite en brû- lure vive au creux de l'estomac. Alors, pour éteindre ce feu qui le brûlait, il'recommença à boire. Feu dedans et feu dehors, flamme sur flamme, alcool sur charbon, c'est ainsi désormais qu'il allait vivre Alphonse Daudet, Jack (Flammarion, édit.) . Le Creusot (1) LE eux est BLEU, tout bleu, plein de soleil. Le train vient de passer Montchanin (2). Là-bas, devant nous,un nuage s'élève, tout noir, opaque, qui semble monter de la terre, qui obscurcit l'azur clair du jour, un nuage lourd, immobile. C'est la fumée du Creusot. On approche, on distingue. Cent cheminées géan- tes vomissent dans l'air des serpents de fumée; d'autres, moins hautes et haletantes, crachent des haleines de vapeur tout cela se mêle, s'étend, plane, couvre la ville, emplit les rues, cache le ciel, éteint le, soleil. Il fait presque sombre maintenant. Une poussière de charbon voltige, pique les yeux, tache la peau, macule le linge. Les maisons sont noires, comme frottées de suie, les pavés sont noirs, les vitres poudrées de charbon. Une odeur de cheminée, de goudron, de houille flotte, contracte la gorge, oppresse la poitrine, et parfois une âcre saveur de fer, de forge, de métal brûlant, d'enfer ardent, coupe la respiration, vous fait lever les yeux pour chercher l'air pur, l'air libre, l'air sain du grand ciel; mais on voit planer là-haut le nuage épais et som- bre, et miroiter près de soi les facettes menues du charbon qui voltige. C'est le Creusot. Un bruit sourd et continu fait trembler la terre, un bruit fait de mille bruits, que coupe d'instant en instant un coup formi- dable, un choc ébranlant la ville entière. Entrons dans l'usine de MM. Schneider. Quelle féerie 1 C'est le royaume du Fer, où règne Sa Majesté le Feu I. La Ci'eusul cliof-liiui do canton do f>aôiie-ol-Loiro où se trouvent les usinos métallurgiques los plus iin)iortiint«B d'Kurope. 6 8 8 kilomôtros du Creusât, sur la ligne de Nevorg à Chagny.