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niaient un vacarme délicieux pour les oreilles d'un chasseur, et exécrable pour toute autre oreille humaine. On sortit du château. Un cerf fut lancé, et s'enfonça dans les bois. Le cerf s'était d'abord lancé au milieu d'un étang, d'où l'on avait eu quelque peine à le débusquer. Plusieurs cavaliers avaient mis pied à, terre, et, s'armant de longues perches, avaient forcé le pauvre animal à reprendre sa course. Mais la fraîcheur de l'eau avait achevé d'épuiser ses forces. Il sortit de l'étang haletant et tirant la, langue, et courant par bonds irré- gùliers. Les chiens,au contraire, semblaientredoubler d'ardeur. A peu de distance de l'étang, le cerf, sentant qu'il lui était im- possible d'échapper par la fuite, parut faire un dernier effort, et, s'acculant contre un gros chêne, il fit bravement tête aux chiens. Les premiers qui l'attaquèrent furent lancés en l'air, éventrés. Un cheval et son cavalier furent culbutés rudement. Hommes, chevaux et chiensi rendus prudents, formaient un grand cercle autour du cerf, mais sans oser en venir à portée de ses andouillers menaçànts. Le roi mit pied à terre avec agilité, et, le couteau de chasse à la main, tourna adroitement derrière le chêne, et d'un revers coupa le jarret du cerf. L'animal poussa une espèce de sifflement lamentable, et s'abattit aussitôt. A l'instant vingt chiens s'élan- cent sur lui. Saisi à la gorge, au museau, à la langue, il était tenu immobile. De grosses larmes coulaient de ses yeux. Faites approcher les dames » s'écria le roi. Les dames s'approchèrent; presquetoutes étaient descendues de leurs montures. «  Tiens, parpaillotl (1) » dit. le roi en plongeant son couteau dans le côté du cerf; et il tourna la lame dans la plaie pour l'agrandir. Le sang jaillit avec force, et couvrit la figure, les mains et les habits du roi. «  Le roi a Pair d'un boucher », dit assez haut, et avec une expression de dégoût, le gendre de l'Amiral (2), le jeune Tréligny. Des âmes charitables, comme il s'en trouve surtout à la cour, ne manquèrent pas de rapporter la réflexion au monarque, qui ne l'oublia pas. î Après avoir joui du spectacle agréable des chiens dévorant les entrailles du cerf, la cour reprit le chemin de Paris. Prosper MÉRIMÉE, Chronique du règne de Charles IX (Calmanri-Lévy,édit.) . 1. parpaillot était un terme ne mépris dont les catholiques désignaient souvent les calvinistes (Mériméo). 2. Il Amiral il s'agit de l'amiral Coligny, chef des protos- tant$, qui périt victime du massacre de ia Saint-Barthélémy.