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aurait renversé l'encrier sur le chapitre IV De Bello Gallico. Comme je ne devais point sortir entre les leçons, j'aurais motivé mon absence sur la nécessité d'aller acheter une plume. Comme les plumes étaient dans une armoireà ma portée, j'aurais avoué avoir perdu la clef hier, au bain. Comme je n'avais pas eu per- mission d'aller au bain, et que je n'y avais réellement pas été, j'aurais supposé y avoir été sans permission,etavoué cette faute, ce qui aurait jeté sur tout l'édifice beaucoup de vraisemblance et en même temps diminué mes remords, puisque je m'accusais généreusement d'une faute, ce qui à mes yeux m'absolvait presque. Ce chef-d'œuvre de combinaisons était tout prêt, lorsque j'en- tendis le pas de M. tiatin qui montait l'escalier. Dans mon trouble, je fermai le livre, je le rouvris, je le fer- mai encore pour le rouvrir précipitamment, sur ce motif que le pâté parlerait de lui-même, et m'épargneraitl'embarras terrible des premières ouvertures. M. Ratin venait pour me donner ma leçon. Sans voir le livre, il posa son chapeau, il plaça sa chaise, il s'assit, il se moucha. Pour avoir une contenance, je me mouchai aussi sur quoi M. Ratin me regarda fixement, car il s'agissait du nez. Je ne compris pas d'abord que M. Ratin sondait l'intention que j'avais pu avoir en me mouchant presque au même instant que lui, en sorte que, m'imaginant qu'il avait vu le pâté, je bais- sais les yeux, plus décontenancépar son silence scrutateur que je ne l'aurais été par ses questions, auxquelles j'étais prêt à ré- pondre. A la fin, d'un ton solennel « Monsieur 1 je lis, sur votre figure. Non, monsieur. Je lis, vous dis-je. Non, monsieur, c'est le chat. », interrornpis-je. Ici, M. Ratin changea de couleur, tant cette réponse lui sem- bla dépasser toutes les limites de l'irrévérence; et il allait prendre un parti violent, lorsque, ses yeux étant tombés sur le monstrueux pâté, cette vue lui produisit un soubresaut qui, par contr.e-coup, en produisit un sur moi. C'était le moment de conjurer l'orage « Pendant, monsieur, que j'étais sorti. le chat. pour acheter une plume. le chat. parce que j'avais perdu la clef. hier au bain. le chat. » A mesure que je parlais, le regard de M. Ratin devenait si terrible, qu'à la fin, ne pouvant plus le soutenir, je passai sans transition à l'aveu de mes crimes. «  Je mens. monsieur Ra- tin. c'est moi qui ai fait ce malheur. » Il se fit un grand silence. «  Ne vous étonnez point, monsieur, dit en fin M. Hatin d'urne voix solennelle, si l'excès de mon indignation en comprime et en retarde l'expression. Je dirai même que l'expression me manque pour qualifier. »