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«  Soit, dit mon aïeul en hochant la tête, mais tu ne l'élèveras pas; il est déjà trop fort et trop sauvage. » Naturellement je n'en crus pas un mot, étant à cet âge présomptueux où l'on ne doute de rien. J'enlevai le pinson dans mon mouchoir, et, une fois à la maison, je le logeai dans un panier hermétiquement clos, en attendant que je pusse, le lendemain, lui préparer une cage. Je; passai une bonne moitié de la nuit sans dormir, tant l'idée de mon prisonnier me trottait dans le cerveau. J'avais ouï dire que les pinsons ont de merveilleuses aptitudes musi- cales, et qu'avec de la patience, on peut les dresser comme de véritables virtuoses quand mes yeux se fermaient, j'entendais en songe mon élève chanter ainsi que l'oiseau bleu des contes de fées. Dès le matin je courus au panier. Le pinson n'avait guère mieux dormi que moi il voletait farouchement et donnait de furieux coups de bec contre les parois. Toutes mes éco- nomies furent absorbées par l'achat d'une cage meublée d'une auge, d'un abreuvoir et d'une mangeoire que je remplis de chènevis. J'y transvasai l'oiseau, et; en attendant qu'il s'ac- coutumât à sa nouvelle demeure, je grimpai dans notre gre- nier, consulter deux ou trois vieux bouquins d'ornithologie, afin de bien connaître les mœurs et les goûts de mon hôte. J'y appris que le pinson est d'un naturel très gai qu'il chante de bonne heure bien avant le rossignol et qu'indépendam- ment de son chant proprement dit, il fait entendre trois cris particuliers uh cri d'appel à l'époque de l'accouplement, un cri de guerre lorsqu'il se bat contre un rival, et enfin, lorsque la pluie va tomber, un cri mélancolique qui est un pronostic cer- tain de mauvais, temps. J'y vis encore que le pinson bâtit son nid dans les arbres les plus touffus, un nid rond, solidement tissu de mousse au dehors, de crins et de toiles d'araignées au dedans la femelle y pond cinq ou six oeufs d'un gris rougeâtre, pointillés de noir au gros bout; le mâle demeure assidûment près de sa couveuse et nourrit ses petits de chenilles et d'insectes; mais, ajoutait mon auteur, les pinsons adultes vivent de graines senelles, œillettes, faines et grains de blé. Ainsi édifié, je revins vers la cage. Le captif ne paraissait nullement disposé à s'apprivoiser. Agrippé aux barreaux, les ailes sans cesse en mouvement, il avait culbuté son auge et dédaigné le chènevis qui foisonnait dans la mangeoire. Peut-' être le menu ne lui plaît-il pas, pensai-je, le livre parle d'ceil- lettes, de senelles et de faînes. Je nurus les champs, afin de me procurer la nourriture indiquée, et quand je revins, la fié- vreuse agitation du prisonnier avait redoublé. Il continuait de s'élancer rageusement contre les barreaux; il y meurtrissait