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Imaginez un horrible petit avorton, si petit que c'en était ridicule; avec cela disgracieux, sale, mal peigné, mal vétu, sentant le ruisseau, et, pour que rien ne lui manquât, affreu- sement bancal. Jamais pareil élève, s'il est permis toutefois de donner à ça le nom d'élève, ne figura sur les feuilles d'inscription de l'Uni- versité. C'était à déshonorer un collège. Pour ma part, je l'avais pris en aver sion et quand je le voyais, les jours de promenade, se dandiner à la queue de la colonne avec la grâce d'un jeune canard, il me venait des envies furieuses de le chasser à grands coups de botte pour l'honneur de ma division. Bamban, nous l'avions surnommé Bamban à cause de sa démarche plus qu'irrégulière Bamban était loin d'apparte- nir à une famille aristocratique. Cela se voyait sans peine à ses manières, à ses façons de dire, et surtout aux belles relations qu'il avait dans le pays. Tous les gamins de Sarlande étaient ses amis. Grâce à lui, quand nous sortions, nous avions toujours à nos trousses une nuée de polissons qui faisaient la roue sur nos derrières, appelaient Bamban par son nom, le montraient au doigt, lui jetaientdes peaux de châtaignes, et mille autres bonnes singeries. Mes petits s'en amusaient beaucoup, mais moi, je ne riais pas, et j'adressais chaque semaine au principal un rapport circonstancié sur l'élève Bamban et les nombreuxdésor- dres que sa présence entraînait. Malheureusement mes rapports restaient sans réponse, et j'étais toujours obligé de me montrer dans les rues, en compa- gnie de M. Bamban plus sale et plus bancal que jamais. Un dimanche entre autres, un beau dimanche de fête et de grand soleil, il m'arriva pour la promenade dans un état de toilètte tel que nous en fûmes tous épouvantés. Vous n'avez jamais rien rêvé de semblable. Des mains noires, des souliers sans cordons, de la boue jusque dans les cheveux, presque plus de culotte. un monstre. Le plus risible, c'est qu'évidemment on l'avait fait très beau, ce jour-là, avant de me l'envoyer. Sa tête, mieux peignée qu'à l'ordinaire, était encore roide de pommade, et le nœud de cra- vate avait je ne sais quoi qui sentait les doigts maternels. Mais il y a bien des ruisseaux avant d'arriver au collège Bamban s'était roulé dans tous. Quand je le vis prendre son rang parmi les autres, paisible et souriant comme si de rien n'était, j'eus un mouvement d'hor- reur et d'indignation. Je lui criai « Va-t'en 1» Bamban pensa que je plaisantais et continua de sourire. Il se croyait très beau, ce jour-là.