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Bamban Daniel Eyssette, tout jeune homme, a dû gagner sa vie et entrer comme maître d'études dans un collége, « Sarlande. Ce soa2t, ébidem- ment, les souvenirs de jeunesse d'Alphonse Daudet. Dans cette page apparaît toute sa sympathie pour les malheureux. DEUX Fors PAR SEMAINE, le dimanche et le jeudi, il fallait mener les enfants en promenade. Cette promenade était un supplice pour moi. D'habitude, nous allions à la Prairie, une grande pelouse qui s'étend comme un tapis au pied de la montagne, à une demi- lieue de la ville. Quelques gros châtaigniers, trois ou quatre guinguettes peintes en jaune, une source vive, courant dans le vert, faisaient l'endroit charmant et gai pour l'œil. Il aurait fait si bon s'étendre sur cette herbe vertu, dans l'ombre des châtaigniers, et se griser de serpolet, en écoutant chanter la petite source 1. Au lieu de cela, il fallait surveiller, crier, punir. J'avais tout le collège sur les bras. C'était ter- rible. Mais le plus terrible encore, ce n'était pas de surveiller les élèves à la Prairie, c'était de traverser la ville avec ma division, la division des petits, Les autres divisions emboîtaient le pas à merveille et sonnaient des talons comme de vieux gr ognards cela sentait la discipline et le tambour. Mes petits, eux, n'entendaient rien à toutes ces belles choses. Ils n'allaient pas en rang, se tenaient par la main et jacassaient le long de la route. J'avais beau leur crier « Gardez vos distances 1 ils ne me comprenaient pas et marchaient tout de travers. J'étais assez content de ma tête de colonne. J'y mettais les plus grands, les plus sérieux, ceux qui portaient la tunique, mais à la queue, quel gâchis 1 quel désordre! Une marmaille folle, des cheveux ébouriffés, des mains sales, des culottes en lambeaux 1 Je n'osais pas les regarder. Comprenez-vousmon désespoir de me montrer dans les rues de Sarlande en pareil équipage, et le dimanche surtout! Les cloches` carillonnaient, les rues étaient pleines de monde. On rencontrait des pensionnats de demoisellesqui allaient à vêpres, des modistes en -bonnet rose, des élégants en pantalon gris perle. Il fallait traverser tout cela avec un habit râpé et une division ridicule. Quelle honte! Parmi tous ces diablotins ébouriffés que je promenais deux fois par semaine dans la ville, il y en avait un surtout,, un demi-pensionnaire, qui me désespérait par sa laideur et sa mauvaise tenue.