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lut de mettre fin à ce despotisme en herbe. Elle nous fit compa- raître tous les deux devant elle, pour donner à Gustin une leçon de fierté, et à moi d'équité. Après m'avoir réprimandé sur ma manie de faire perpétuellementle maître, elle nous dit grave- ment que Gustin n'était pas né pour obéir à mes fantaisies il était mon égal, mon ami, non mon serviteur; elle enten- dait bien que nous changerions entièrement de conduite à l'avenir. Le barbare ne la comprit que trop; le lendemain, comme nous étions au bois, et qu'il se sentait fatigué, il ôta ses sabots et m'ordonna de m'en charger. J'obéis. Nous arrivâmes ainsi devant ma mère, moi portant humblement les deux sabots de Gustin (et ils n'étaient pas légers), Gustin tout fier de me voir tout essoufflé et rendu sous le faix et pourtant c'était le plus honnête, le plus doux garçon du village. Ainsi cette première leçon d'égalité n'avait fait que déplacer le tyran. Combien de fois de grands événements m'ont forcé de me la rappeler1 EDGAR QUINET, Histoire de mes Idées (Hachette, édit.). La Grappe de raisin J'ÉTAIS HEUREUX, j'étais très heureux. Je me représentais mon père, ma mère et ma bonne comme des géants très doux, témoins des premiers jours du monde, immuables, éternels, uniques dans leur espèce. J'étais sensible aux fleurs, aux parfums, au luxe de la table, aux beaux vêtements. Ma toque à plumes et mes bas chinés me donnaient quelque orgueil. Mais ce que j'aimais plus que chaque chose eu parti- culier, c'était l'ensemble des choses la maison, l'air, la lu- mière, que sais-je? la vie enfin! Une grande douceur m'en- veloppait. Jamais petit oiseau ne se frotta plus délicieusement au duvet de son nid. J'étais heureux, j'étais très heureux. Pourtant, j'enviais un autre enfant. Il se nommait Alphonse. Je ne lui connaissais pas d'autre nom, et il est fort possible qu'il n'eût que celui-là. Sa mère était blanchisseuse et travaillait en ville. Alphonse vaguait tout le long de la journée dans la cour ou sur le quai, et j'observais de ma fenêtre son visage barbouillé, sa tignasse jaune, sa culotte sans fond et ses savates, qu'il traî- nait dans les ruisseaux. J'aura' lu, moi aussi, mal- cher en liberté dans les ruis^^oi'iHpl^i^;e hantait les cui- sinières et gagnait près vieillies