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Il faut que l’amertume de la misère humaine ait mordu jusqu’au fond de l’âme, au point d’y abolir tout espoir temporel.

Alors les larmes qui du fond de la honte jaillissent devant le bien sont une offrande pure.

Quand tout ce qui est je est honte, alors toute ma pensée va à ce bien hors de moi. L’âme et le corps suivent ma pensée sans même que je le sache. Je ne pense même plus que je l’insulte en l’approchant.

Dans ce mouvement sans hésitation qui l’amène à toucher le Christ, il y a l’humilité parfaite.

L’amour est proportionnel à la remise de la dette ; mais pour quiconque comprend, une dette infinie a à être remise.


Si je détourne mon désir de toutes les choses d’ici-bas comme étant de faux biens, j’ai la certitude absolue, inconditionnelle, d’être dans la vérité. Je sais que ce ne sont pas des biens, que rien ici-bas ne peut être regardé comme un bien sinon à la faveur d’un mensonge, que toutes les fins d’ici-bas se détruisent elles-mêmes.

M’en détourner — c’est tout. Il n’est besoin de rien autre. C’est la plénitude de la vertu de charité.

Car je m’en détourne parce que je les juge faux par comparaison avec la notion de bien. Donc j’abandonne la totalité des choses terrestres pour le bien. J’arrache la totalité de mon désir et de mon amour aux choses terrestres pour les diriger vers le bien.

Mais, me dira-t-on, ce bien existe-t-il ? Qu’importe ? les choses d’ici-bas existent, mais elles ne sont pas le bien. Que le bien existe ou non il n’est pas d’autre bien que le bien.

Et qu’est-ce que c’est que ce bien ? Je n’en sais rien. Qu’importe ? Il est ce dont le nom seul, si j’y attache ma pensée, me donne la certitude que les choses d’ici-bas ne sont pas des biens. Si je ne sais rien au delà de ce nom, je n’ai pas besoin non plus de rien savoir au delà, si seulement je sais en faire cet usage.

N’est-il pas ridicule d’abandonner ce qui est pour ce qui peut-être n’est pas ? Nullement, si ce qui est n’est