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C’est une pensée tellement contraire à la nature qu’elle ne peut surgir que dans une âme entièrement dévorée par le feu du Saint-Esprit, comme étaient sans doute celles des Pythagoriciens.

Aussi ne l’a-t-on pas comprise, ni même discernée dans les œuvres de Platon.

Le bonheur glorifié sous le nom de félicité éternelle, de vie éternelle, de Paradis, etc., est à juger de la même manière. Toute espèce de bonheur est à juger ainsi. Toute espèce de satisfaction.

Saint Jean ne dit pas : nous serons heureux, car nous verrons Dieu ; mais : nous serons semblables à Dieu, car nous Le verrons tel qu’il est.

Nous serons du bien pur.

Nous n’existerons plus. Mais dans ce néant qui est à la limite du bien nous serons plus réels qu’à aucun moment de notre vie terrestre. Au lieu que le néant qui est à la limite du mal est sans réalité.

Réalité et existence font deux.

Cela aussi, c’est une pensée centrale de Platon. Peu comprise aussi.

(Justin, saint Augustin, etc., disaient que Platon avait appris de Moïse que Dieu est l’Être. Mais de qui a-t-il appris que Dieu est le Bien, et que le Bien est au-dessus de l’Être ? Pas de Moïse.)


Toutes les fois que surgissent dans l’âme des pensées telles que : « il faut que je sois heureux », « il faut que je mange », « il faut que je sois soulagé de cette douleur », « il faut que je me réchauffe », « il faut que j’échappe à ce danger », « il faut que j’aie des nouvelles de tel être cher », et toutes les pensées de ce type « il faut que… », répondre froidement à soi-même « je n’en vois pas la nécessité ».

Plus encore si la pensée est du type « il faut pourtant que je… »

Se répondre cela est facile, mais en être aussi complètement persuadé que Talleyrand parlant au mendiant, c’est moins facile.

Pourquoi ne pourrais-je parvenir par amour de Dieu