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Dans un être humain ordinaire, un seul attribut est indestructible, c’est le fait d’être une créature.

Dans ceux qui sont deux fois nés, qui ont été engendrés d’en haut par l’esprit, qui ont passé par la mort et la résurrection du Christ, il y a un second attribut indestructible, c’est celui d’enfant de Dieu.

Cela fait deux amours inconditionnés envers les êtres humains. L’un est exprimé dans le précepte « aime ton prochain comme toi-même », l’autre dans le précepte « aimez-vous les uns les autres ».

Ce que nous demandons à l’amour humain est une impossibilité, une contradiction vicieuse. Nous ne voulons pas être aimés conditionnellement. Celui qui dirait : « Je t’aimerai tant que tu es en bonne santé ; si tu es malade je ne t’aime plus » serait repoussé avec colère. D’autre part nous ne voulons pas d’un amour qui nous confond avec la masse. Celui qui dirait « j’aime toutes les femmes blondes, toi ni plus ni moins que les autres », ou « j’aime toutes les Parisiennes », serait repoussé de même. Nous voulons être préférés inconditionnellement. Or tous les attributs qui nous distinguent d’autrui sont conditionnels et peuvent disparaître. Nous ne méritons inconditionnellement que le degré d’attention accordé à la créature la plus misérable, c’est-à-dire un infiniment petit.

Pourtant c’est vrai que nous méritons d’être non seulement préférés, mais aimés uniquement, exclusivement. Mais ce qui en nous mérite cela, c’est la partie incréée de l’âme, qui est identique au Fils de Dieu. Quand le moi composé d’attributs est détruit et que cette partie émerge, « je ne vis plus en moi, mais le Christ vit en moi » ; quiconque aime un homme qui en est là et parce qu’il en est là aime sous sa forme le Christ. C’est un amour impersonnel.

Aimer une personne impersonnellement, c’est aimer en Dieu.

« Aime ton prochain comme toi-même », cela veut dire aime-le inconditionnellement ; car l’amour de soi est inconditionnel. Se ferait-on horreur, on ne cesse pas de s’aimer.