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LA VIE ET LA GRÈVE
DES OUVRIÈRES MÉTALLOS[1] (SUR LE TAS)
(10 juin 1936)



Enfin, on respire ! C’est la grève chez les métallos. Le public qui voit tout ça de loin ne comprend guère. Qu’est-ce que c’est ? Un mouvement révolutionnaire ? Mais tout est calme. Un mouvement revendicatif ? Mais pourquoi si profond, si général, si fort, et si soudain ?

Quand on a certaines images enfoncées dans l’esprit, dans le cœur, dans la chair elle-même, on comprend. On comprend tout de suite. Je n’ai qu’à laisser affluer les souvenirs.


Un atelier, quelque part dans la banlieue, un jour de printemps, pendant ces premières chaleurs si accablantes pour ceux qui peinent. L’air est lourd d’odeurs de peinture et de vernis. C’est ma première journée dans cette usine. Elle m’avait paru accueillante, la veille : au bout de toute une journée passée à arpenter les rues, à présenter des certificats inutiles, enfin ce bureau d’embauche avait bien voulu de moi. Comment se défendre, au premier instant, d’un sentiment de reconnaissance ? Me voici sur une machine. Compter cinquante pièces… les placer une à une sur la machine, d’un côté, pas de l’autre… manier à chaque fois un levier… ôter la pièce… en mettre une autre… encore une autre… compter encore… Je ne vais pas assez vite. La fatigue se fait déjà sentir. Il faut forcer, empêcher qu’un instant d’arrêt sépare un mouvement du mouvement suivant. Plus vite, encore plus vite ! Allons bon ! Voilà une pièce que j’ai mise du mauvais côté. Qui sait si c’est la première ? Il faut faire attention. Cette pièce est bien placée. Celle-là aussi. Combien est-ce

  1. Article paru sous le pseudonyme de S. Galois dans la Révolution prolétarienne du 10 juin 1936 et dans les Cahiers de « Terre Libre » du 15 juillet 1936.