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tout proche de l’allemand, brutalement conquis à une date en somme récente, ne voulaient pas entendre parler de l’Allemagne. Il constatait qu’ils avaient pour mobile la fierté d’appartenir au pays de la Révolution française, à la nation souveraine. L’annexion, en les séparant de la France, leur fit peut-être conserver partiellement cet état d’esprit jusqu’en 1918.

La Commune de Paris avait été au début, non un mouvement social, mais une explosion de patriotisme et même de chauvinisme aigu. Tout au long du xixe siècle d’ailleurs, la tournure agressive du patriotisme français avait inquiété l’Europe ; la guerre de 1870 en avait été le résultat direct ; car la France n’avait pas préparé cette guerre, mais elle ne l’avait pas moins déclarée sans aucun motif raisonnable. Les rêves de conquête impériale étaient restés vivants dans le peuple tout le long du siècle. En même temps on buvait à l’indépendance du monde. Conquérir le monde et libérer le monde sont deux formes de gloire incompatibles en fait, mais qui se concilient très bien dans la rêverie.

Tout ce bouillonnement de sentiment populaire est tombé après 1871. Deux causes ont pourtant maintenu une apparence de continuité dans le patriotisme. D’abord le ressentiment de la défaite. Il n’y avait alors vraiment pas encore de motif raisonnable d’en vouloir aux Allemands ; ils n’avaient pas commis d’agression ; ils s’étaient à peu près abstenus d’atrocités ; et nous avons eu mauvaise grâce à leur reprocher la violation des droits des peuples au sujet de l’Alsace-Lorraine, population en grande partie germanique, à partir de nos premières expéditions en Annam. Mais nous leur en voulions de nous avoir vaincus, comme s’ils avaient violé un droit divin, éternel, imprescriptible de la France à la victoire.

Dans nos haines actuelles, auxquelles il y a par malheur tant de causes trop légitimes, ce sentiment singulier entre aussi pour une part. Il a été également un des mobiles de certains collaborateurs de la première heure ; si la France était dans le camp de la défaite, pensaient-ils, ce ne pouvait être que parce qu’il y avait eu maldonne, erreur, malentendu ; sa place naturelle est dans le camp de la victoire ; le procédé le plus facile, le moins pénible, le moins douloureux, pour opérer la rectification indis-