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SEPT POUR UN SECRET…

sante. De quoi manger et de quoi rire tout à son aise : ç’avait toujours été la devise de Fringal. Le seul ennui, c’était que Fringal riait toujours de quelqu’un, jamais avec un autre. Le seul être pour lequel il aurait pu s’oublier assez lui-même pour rire avec lui était la petite génisse — revenue avec Gillian depuis son mariage — mais elle ne comprenait pas le comique.

Ralph était allé chez Dosset, mais devait être rentré à l’heure du thé. À trois heures, Gillian disparut : elle allait mettre une robe d’hiver neuve, bleu ardoise comme l’ancienne, mais plus belle, en soie qui faisait frou-frou… et s’onduler. Car l’intérêt de cette après-midi pour elle — comme pour Fringal — se concentrait sur elle-même, seulement elle avait confié son âme à Robert et par conséquent sa préoccupation englobait celui-ci. Mais ce qui la passionnait, ce n’était pas la tentative de Robert, l’idée mystérieuse qui le guidait, c’était uniquement l’assurance que ces yeux sombres la regarderaient, que leur éclat se jouerait sur elle. Elle renoncerait à toute feinte et se reposerait simplement en eux, et ferait, avec sa voix, vibrer les cordes de son cœur à lui. Il y avait bien longtemps elle lui avait déclaré qu’elle voulait faire pleurer le public ; elle avait aspiré à laisser un souvenir à ses auditeurs, à se faire aimer, regretter. Aujourd’hui, c’est de Robert qu’elle se ferait aimer, elle remplirait de larmes ces yeux gris, elle éveillerait le désir. Car, à cette minute où, dans l’ombre, à la Croix-des-Pleurs, un œil brillant en avait rencontré un autre, elle avait appris ce qu’est le désir. Elle pensait que, si jamais Robert la regardait comme avait fait Ralph, elle en mourrait de joie. Elle savait quelle était la chanson qu’elle devrait dire en premier, et puis… ah ! le nom auquel elle penserait quand sa voix, partie du petit parloir, se répandrait dans la cuisine, le