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SEPT POUR UN SECRET…

cachette ce qu’elle venait d’écrire et glissait le feuillet dans sa poche.

Étrange ! Voici que cette malheureuse qui, du plus loin qu’elle pouvait se souvenir, n’avait connu aucune affection, le comblait de son amour. Il comprenait maintenant le sens de ces regards sombres et limpides, remplis des battements d’ailes de l’esprit, car il était — comme tous les poètes — profondément sensible au silence. La qualité du silence d’une personne lui permettait de la juger. Il reconnaissait en Gruffydd une personnalité plus complète que la sienne, parce que son silence avait plus d’ampleur que le sien. Celui de bien des gens est complètement vide et insignifiant. Ceux-là, il faut les éviter, non qu’ils soient méchants, mais parce que leur âme n’a pas assez de vie pour qu’ils soient bons ou mauvais. Or, Robert avait observé les silences de Ruth et constaté qu’ils étaient plus riches, plus denses, en quelque sorte, que ceux de la plupart des personnes qu’il connaissait, beaucoup plus que ceux de Gillian, qui étaient à une seule dimension : elle n’y rêvait qu’à elle-même ; ils ne contenaient pas le rêve du monde de la douleur et de l’extase, qui était, lui, dans ceux de Ruth. Chose singulière, bien bizarre, que la femme à laquelle il avait donné irrévocablement son amour ne possédât pas cette qualité, alors que celle-ci l’avait. Il était curieux qu’en jetant les yeux sur le lac de cet esprit il y vît non seulement le reflet embrumé, gigantesque, de l’existence, mais encore lui-même, lui tel qu’il était, et pas du tout tel que le voyait Gillian, et tout cela sans même un « avec votre permission », sans une lueur de compréhension du moi ordinaire de Ruth. Pourtant, bien qu’elle n’eût jamais pu le formuler par des mots, elle le comprenait. Assis là, les yeux fermés, il savait qu’elle n’interpréterait jamais