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sa vie l’expliquer à personne. Elle ne pouvait faire comprendre qu’au pied de ces marches, au Repos de la Sirène, elle avait subi le choc de cette création muette qui peine et souffre dans les tourments, cette création qui, dès qu’on la voit, l’entend et s’en rend compte une fois, fait blanchir les cheveux de la jeunesse et glace le cœur, car c’est un calvaire.

On eût dit que sur la face de Ruth s’étendait à perpétuité l’ombre de la croix, que, si on se perdait dans ses yeux, on voyait les cavernes rocheuses et suintantes qui, par les voies raboteuses et inexorables de l’agonie, conduisent aux profondeurs de la mort.

Gillian se sentait très petite et désemparée sous ce regard, effrayée et cependant consolée.

Soudain, comme sur un signe du destin, Ruth mit la main sur le loquet, sourit, ouvrit la porte, s’effaça pour laisser entrer la jeune fille et se retira,

La pièce était confortable et même gaie, ce qui rassura Gillian. Il y avait des rideaux rouges, une armoire d’angle vitrée, pleine de porcelaines brillantes, deux fauteuils, une table couverte d’une nappe bleue, des cuivres sur la cheminée, un dressoir garni de plats, des pipes, un fouet de chasse et des éperons, un tapis de foyer où se tenait un chat moucheté et, dans le plus grand des fauteuils, profondément endormi, le maître de la maison.

Comme une nymphe qui guette le sommeil d’un satyre, Gillian le regarda, s’approcha sur la pointe des pieds, pencha la tête de côté et l’examina de nouveau.

— Il a vraiment de la chance, se dit-elle.

Sa chevelure, ébouriffée par sa course à cheval et, son sommeil, lui allait mieux que bien peignée comme elle était d’habitude. Son front détendu, ses cils baissés, sa bouche moins dure qu’à l’état de veille, son teint coloré