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en tête, dit Robert avec intention. — Si seulement Elmer avait idée de se marier, lui Robert, n’avait pas à se tourmenter pour Gillian.

— Je ne me soucie pas de prendre femme. Discussions et chipotages : ceci déplaît à madame, et cela n’est pas à sa guise. Elle a droit au lit et à la table, elle gémit s’il n’y a pas de moutard et elle grogne s’il y en a trop. On n’est plus son maître, Rideout, quand on a une femme.

Avec une puissance contenue, torturante, un grand flot de désir envahit le cœur de Robert, aspiration à ces discussions et chipotages, à ces grogneries, à ces divins droits au lit et à la table. De nouveau, très délicate et bien vivante, Gillian se dressait devant lui, rouge comme dans ses accès de colère. Ah, Dieu, l’entendre gémir… gémir de n’avoir pas d’enfant ! Il posa rudement la bouteille sur la table, à côté d’Elmer.

— Tenez, servez-vous, cria-t-il, je file. En s’élançant à grands pas dans la nuit songeuse, il se sentait malade de passion, fou de désir et de tendresse. Avec l’intuition aiguë du poète, il voyait que Gillian reviendrait sûrement, qu’elle connaîtrait Elmer, que les théories égoïstes de celui-ci s’effondreraient devant la passion qu’elle éveillerait en lui, que peut-être elle lui appartiendrait…

Quand il en arriva à cette conclusion, Robert s’arrêta au milieu de la lande. Une faiblesse, une défaillance lui brisait le cœur et les membres. Il tremblait comme un animal qui a vu un spectre.

— Ô mon Dieu, murmura-t-il avec angoisse, cela se prépare, je le vois, je l’entends. Misère de misère ! Et c’est moi qui ai amené ce bonhomme-là ici, imbécile que je suis !