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fait les grands poètes… Impérialisme esthétique[1] , paroxysme, exaltation, foi, enthousiasme, sont pour nous identiques. Et nous les revendiquons en opposition à la froide ou biscornue littérature présente… La littérature se révèle à nous avec la grandeur d’une religion[2] , et elle donne à la vie une valeur absolue. Nous voulons, en elle, retrouver ce grand courant d’illumination spirituelle, si longtemps interrompu, retremper nos espoirs dans une source de joie multanime, perdre le sentiment de notre petitesse en participant à une vérité plus haute, sentir notre moi individuel se grandir de l’apport des collectivités, être cette collectivité elle-même avec ses appétitions et sa soif insoupçonnée de révélation religieuse… En opposition avec le naturalisme des parnassiens et le romantisme et le symbolisme esclaves des sens, le poète paroxyste, lui, s’élève au-dessus du monde de la sensation; il le convertit en une œuvre libre, et le domine pour atteindre aux idées qu’il sensibilise à son gré. C’est que le pensé domine le vécu. Il n’est pas ainsi de réalisation poétique où la vie soit plus proche de l’art, le poète étant alors à la fois cause objective et cause efficiente.

« Le paroxysme, disons-nous alors, est l’objectivation des états radiants de notre âme de poète, — éminemment impressionnable et vibrant comme un résonnateur sous l’influence d’excitations soit émotionnelles, soit voulues, c’est-à-dire du domaine de l’esprit. Ces états radiants sont dus à une présence active ; ils tiennent le plus souvent à la persistance d’une idée fixe en nous, dont la contemplation intensifie nos émotions. porte à l’intuition prophétique où, dans une sorte d’extase triomphante, le poète égale toute la vie du monde.

« Nous sommes loin, on le voit, d’envisager la poésie comme le passe-temps des heures oisives. Elle est pour nous un état lyrique et inspiré ; c’est une foi, un désir passionné d’extérioriser les manifestations du moi profond, de les muer en actes, et de les rendre sensibles au moyen de rythmes adéquats, éminemment expressifs.

  1. M. Louis Estève, auteur d’une Nouvelle Psychologie de l’Impérialisme [Ernest Seillière] (Alcan, 1913), voit dans le lyrisme paroxyste « l’émanation la plus sainement individualiste et la plus féconde en sagaces suggestions de conquête de l ’impérialisme esthétique, cette forme subtile et condensée de l’appétit de puissance». » Dans l’apothéose qui termine Les Deux Règnes, ajoute-t-il, la conception, chère à tous les nobles inspirés, de la mission impérialiste, à la fois tutélaire, exaltatrice et hégémonique du poète, se trouve incontestablement portée à la plus magnifique ampleur qu’elle ait jamais atteinte. »
  2. Cf. notre Anthologie des Poètes Français Contemporains, tome 1er  , introduction, pages xviii et xix.