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Jetez-moi dans un drap quelconque, et puis partez !

Deux suffiront, les deux plus forts, pour m'eniporter
A travers la cité qui s'étire et qui jase
Gomme un torrent gonflé des fourmis qu il écrase.

Le beau monde, sitôt, ne sera pas levé;
Les rêveurs songeront à ce qu'ils ont rêvé.
Des gens, comme toujours, iront au ministère,
Au magasin, à l'atelier; des ouvrières
Prendront en se hâtant leur essor matinal,
Bavardant, s'esclaffant, ou seules, anxieuses,
Lisant la fin des aventures merveilleuses
Qui arrivent souvent sur le Petit Journal...

Prenez par les quartiers fourmillants, populeux,
Où toujours la fumée obscurcit le ciel bleu.
Ne vous retournez pas. Pas un mot, sortez vite,
Sortez enfin, sortez de la ville maudite
Où, noirs bouffons narguant les premiers du royaume,
Les nécropoles rient au pied des hippodromes...

Vous irez devant vous, n'importe où, par les prés,
Les villages, les bois, les guérets, vous irez
Jusqu'à l'heure où d'un champ l'horizon circulaire
Vous fixera soudain au milieu de la terre.

Ce sera vers le soir au couener du soleil
Qui rend l'éteule rose et les hommes vermeils.
Déjà le soc brillant comme un éclat de verre
Sera là de nouveau : ce sera la saison
Des meules vieillissant près des jeunes sillons.
Et comme toute ordure et toute pourriture
Est un engrais joyeux pour la bonne nature,
Vous creuserez un trou, vous m'y mettrez tout nu,
Et là du moins, profond, solitaire, inconnu,
Tout au délicieux évanouissement
Plus nombreux, plus divin de moment en moment,
Qui fera, comme un peu de substance féconde,
Couler toute ma chair dans les veines du monde».
Peut-être, conscient à demi, vaguement,
Sentirai-je, — moi qui pour unique richesse
Ayant mon cœur, souffris toujours de ma tendresse
Comme d'une avarice insurmontable, alors