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Aux cyniques catins dont vous étiez la proie,
Des racines pressant vos côtes tourmentées,
Dans leurs embrassements vous étoufferaient point ?
Voyez-vous que des lys ou des roses trémières
Vous volent vos écus pour leur cœur de lumière ?
Que des rats, mal nourris par les morts qui n’ont rien,
Grignotent pour finir ce qui vous appartient ?
Non non, riches, je vous comprends. Chacun chez soi,
Pour toujours ! Le caveau c’est plus sûr.
Pour toujours ! Le caveau c’est plus sûr.Quant à moi,
Le jour silencieux où ma vieille servante,
Venant pour m’éveiller, verra, toute tremblante,
Mon front pacifié pour la première fois,
Et que, les yeux bistrés, le nez pincé, les traits
Amincis, je ressemble à mon plus beau portrait,
— Ce jour où l’on conçoit que la voix la plus chère
N’est que le souffle obscur d’une chose étrangère,
D’un être dont enfin le mutisme obstiné
Avoue un grand secret qu’on avait soupçonné, —
Qu’on n’aille, ce jour-là, qu’on n’aille point encore
M’habiller d’un rigide habit de bois, enclore
Dans du chêne ce cœur qui par le torse étreint
Battait depuis jadis dans un cercueil d’airain.
Qu’on n’aille pas non plus, nulle part, par pitié,
Acquitter pour mon compte un éternel loyer.
Pas de cierge. Pas de caveau. Pas de prière.
Je désire pourtant, orgueilleux, sans fortune,
Quelque chose de plus que la fosse commune.
Allez d’abord, allez par tous les cimetières
De mon pays, cherchez-y bien les noms sacrés :
Vous qui m’aurez connu, vous vous en souviendrez.
Cherchez, fouillez, rapportez-moi sans trop attendre,
Ô mes derniers amis, ce qui reste de cendre
Aux tombeaux entr’ouverts de tous mes bien-aimés.
Depuis le temps, hélas ! qu’on les aura fermés,
De cet immense amour le reste tiendra tout,
Mes chers amis, dans les deux mains de l’un de vous.
Rapportez-moi ceci, remplissez-en ma bouche,
Mes oreilles, mes yeux, couvrez-en tout mon corps,
Que je mange et j’aspire et je sente et je touche
Tout mon amour mortel lorsque je serai mort.