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LES RIDES

Je me suis regardée au miroir, et j’ai vu,
À l’angle de ces yeux dont le dessin te plut,
Quelques frôles sillons rayant mon teint uni :
Est-ce, mon bien-aimé, pour t’avoir trop souri ?

Cependant, depuis la saison où tu partis,
Quel sourire aurait pu, sur mon visage aride,
Creuser sournoisement l’outrage de ces rides ?
Hélas ! mon bien-aimé, ai-je déjà vieilli ?

Est-ce donc toi qui vas sonner, heure implacable,
Qui, prenant l’incisif burin de nos soucis,
Ayant criblé le cœur de traits impitoyables,
Monte jusqu’au visage et le dévaste ainsi ?

Heure aveugle ! un regard sur le front que tu blesses
Eût arrêté ton geste avant qu’il me trahît !
Mon cœur avait caché sa haire de détresse.
Pourquoi, brutalement, en accuser les plis ?

Hélas ! mon bien-aimé, une angoisse m’oppresse :
Pour ce premier sillon que ma douleur creusa,
Auras-tu le baiser pieux de la tendresse
Ou le regard déçu qui me transpercera ?

Sur mon cœur, ainsi que les saintes et les mortes,
J’ai croisé mes deux mains, j’ai voulu t’enfermer,
Mais l’arche se consume aux flammes qu’elle porte,
Et vivre ne m’apprend que la ferveur d’aimer.

Je suis le tournesol inquiet qui se dresse,
Sa vie est suspendue aux feux divins du jour...
Doucement, gravement, attendris ta caresse :
J’attends le baume de tes lèvres, mon amour.

[Celles qui attendent.)