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Et tu t'allongeais dans l'oubli comme une béte,
Solitaire orphelin de la vie et du songe.

Quand je pense à mon âme, il me semble te voir,
Avec ton rire dégoûtant et dégoûté,
Étudier quelque grand geste inusité,
Menacer ton mauvais regard dans les miroirs ;

Parfois aussi (mais rarement, lorsque j'écris),
Je crois t'entendre exagérant la morne emphase
De tes strophes, chaos de pitoyables phrases
Aux intonations d'histrionnes aigries.

Sans trop t'aimer, sans trop te mépriser, je foule
Les traces de tes pas dans le chemin des jours.
Toujours le même amour qui sanglote et roucoule,
Et les mêmes adieux, et les mêmes retours ;

Toujours les mêmes vins dans les mêmes amphores,
Le mensonge du rire et la fadeur des fleurs,
Les poèmes d'ennui parés de métaphores,
Les mêmes stupéfiants pour les mêmes langueurs ;

Les triomphes : le temps trop lent et trop rapide ;
L'horreur de ne pouvoir s'aimer sans ironie,
Ô frère des jours morts, n'est-ce pas ? et le vide
Où disparaît le songe aveugle de la vie.
 
Le grouillement de cauchemar des pauvres êtres
Dont le plus étranger est un peu notre frère
Par la haine qu'il sait nous inspirer, peut-être
Par l'audace de partager notre misère.

Les musiques ; les jours et les soirs aux cadrans
D'ennui ; les vieux soupirs qui brûlent d'un feu doux
Sur les autels des malades et des amants,
Et les dalles de mort s'ouvrant sous les genoux

De la prière ; les angoisses de Demain,
Le vertige du néant de ce qui fut cher,
Le présent dont déjà nous sommes orphelins, —
Et les souvenirs, pris dans les glaces d'hier..

Il reste le sommeil. — Non ; la douleur est noire
Comme une nuit d'extrême automne sur la mer,
Mais le cri des corbeaux sanglants de la mémoire
Réveille les échos de nos passés déserts.