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gré le brouhaha de nos cohues, je sais des gens qui ont dit : « Enfin ! voici des vers qui sont d’un poète, d’un poète authentique, de quelqu’un dont l’âme est pieuse, douce, émue, voltigeante et chantante, prompte à la joie et prompte aux larmes, de quelqu’un qui ne ressemble pas aux autres hommes, qui n’est pas raisonnable, pratique, morose, ambitieux, qui va son chemin, loin des sentiers battus, vers des sommets bleus, aperçus en rêve dans une auréole de brumes dorées… » M. Le Braz a écouté la voix plaintive des Celtes morts, de la Bretagne agonisante ; il a voulu nous conter les douces et amères confidences qu’il a recueillies, le soir, quand le bruit du siècle se taisait, près des calvaires désolés de Trégastel et de Ploumanac’h… Ses mélodies ont la vertu d’endormir les soucis et d’apaiser le cœur souffrant des hommes. » (Gaston Deschamps.)




BERCEUSE D’ARMORIQUE


Plac’had ann ôd a pan cur gân
Hac a zo trist, hac a zo splán.


Dors, petit enfant, dans ton lit bien clos :
Dieu prenne en pitié les bons matelots !

— Chante ta chanson, chante, bonne vieille !
La lune se lève et la mer s’éveille.

Quand tu seras mousse, hélas ! c’est le vent
Qui te bercera dans ton lit mouvant.

— Chante ta chanson, chante, bonne vieille !
La lune se lève et la mer s’éveille.

Déjà dans ton âme a chanté la mer
Son chant doux aux fils, aux mères amer.

— Chante ta chanson, chante, bonne vieille !
La lune se lève et la mer s’éveille.

Au Pays du Froid[1], ton père a sombré.
Tu naissais alors, je n’ai pas pleuré.

— Chante ta chanson, chante, bonne vieille !
La lune se lève et la mer s’éveille.

  1. Brô ar riou : on désigne souvent ainsi l’Islande ou Terre-Neuve.