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Fière de se sentir la Dalila fatale
Qui raille en l’enchantant le désir de Sam son.

Près d’elle, j’ai filé la laine fatidique
Dont elle recueillait les grêles écheveaux,
Pour m’étrangler à l’heure où mon cœur nostalgique
L’aurait voulu mener vers des destins nouveaux.

O volupté de vivre au milieu des larmes !
A ses pieds, bafoué, vilipendé, meurtri,
J’ai bien longtemps chanté sans regretter mes armes,
Heureux de la servir dès qu’elle avait souri.

Mais un soir, mon amour la fatiguant sans doute,
Sans un mot, dans la nuit qui tombait peu à peu,
Elle m’abandonna sur le bord de la route
Où tristement neigeait un clair de lune bleu.

Ai-je souffert loin d’elle ? Hélas ! le sais-je encore ?
Pourquoi j’ai survécu ? Je l’ignore toujours.
Comment après tant d’ombre une nouvelle aurore
Doucement vint fleurir le linceul de mes jours ?

O ma sainte Gardienne effacée et si pure,
Je ne puis te répondre, ayant tout oublié ;
Déjà le souvenir de l’ancienne blessure
Ne vient plus effleurer mon cœur pacifié.

Comme autrefois je chante et je bénis la vie,
Mais ma voix est plus grave, et parfois l’on dirait
Qu’aux bénédictions de mon ame ravie,
Comme un parfum vieilli, se mêle un long regret.

Tu souffres, chère Enfant : j’ai souffert : nos pensées,
Par delà cet amour qui nous brisa tous deux,
Silencieusement et les mains enlacées
Rêvent d’un clair pays où l’on serait heureux.

A quoi bon nous leurrer d’un mensonge fragile ?
Tu m’aimes… Puis-je encore aimer, quand lentement
S’effrite dans mon cœur l’idole aux pieds d’argile
Que tu crois noble, pure, éternelle, et qui ment ?

Poursuivons nos destins : toi, ma sœur, fuis les charmes
De l’amour embusqué sous ton bel avenir :
Prends mon pâle sourire et laisse-moi tes larmes,
Mon sourire, — û néant ! — tes pleurs, — ô souvenir !