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charmante poésie, mais c’est surtout et avant tout une œuvre du théâtre. La pièce abonde en morceaux de bravoure, en motifs spirituellement traités, en tirades brillantes ; mais tout y est en scène ; nous avons mis la main sur un auteur dramatique, sur un homme qui a le don. Et ce qui m’enchante plus encore, c’est que cet auteur dramatique est de veine française. Il nous rapporte du fond des derniers siècles le vers de Scarron et de Regnard ; il le manie en homme qui s’est imprégné de Victor Hugo et de Banville, mais il ne les imite point ; tout ce qu’il écrit jaillit de source et a le tour moderne. Il est aisé, il est clair, il a le mouvement et la mesure, toutes les qualités qui distinguent notre race. Quel bonheur ! quel bonheur ! »

Et M. Jules Lemaître disait de ce même Cyrano : « Dans le premier acte, tout ce joli tumulte de comédiens et de poètes, de « précieux » et de « burlesques », de bourgeois, d’ivrognes et de tire-laine, et de la gentilhommerie et de la bohème littéraire du temps de Louis XIII, qu’est-ce autre chose qu’un rêve du bon Gautier, réalisé avec un incroyable bonheur, et dont l’auteur du Capitaine Fracasse a dû éprouver là-haut (où certainement il est) un émerveillement fraternel ?… Au deuxième acte commence le drame le plus élégant de psychologie héroïque, un drame dont Rotrou et Tristan, les deux Corneille, eussent bien voulu rencontrer l’idée, qui vaut à coup sûr leurs inventions les plus délicates et les plus « galantes » et qui eût réjoui l’idéalisme de l’hôtel de Rambouillet dans ce qu’il eut de plus noble, de plus fier et de plus tendre… Cyrano de Bergerac est comme la floraison suprême d’une branche d’art tricentenaire… Les vers de M. Edmond Rostand étincellent de joie. La souplesse en est incomparable. C’est quelquefois (et je ne m’en plains pas) virtuosité pure ; mais c’est le plus souvent une belle ivresse de couleurs et d’images, une poésie ensoleillée de poète méridional… »

M. Catulle Mendès écrivait : « Voici de la joie, à profusion, toujours, et toujours, et après encore. Il faut le dire : jamais le lyrisme héroï-bouffon n’avait rayonné avec plus d’abondant et d’éblouissant et d’inextinguible brio ; et, tout net, ni dans les comédies de Regnard, si gaies cependant (M. Edmond Rostand n’est pas éloigné de ressembler à un Regnard ivre d’Hugo, de Henri Heine et de Banville), ni dans le prodigieux quatrième acte de Ruy Blas, ni dans Tragaldabas, ni même dans les Odes Funambulesques, où pouffent des dieux pitres et des paillasses olympiens, tant de flambante et de furieuse allégresse ne s’ébouriffa en paillettes d’or sonore au souffle de la fantasque chimère ! De sorte qu’en effet un grand poète comique, qu’avait fait prévoir le premier acte des Romanesques à la Comédie française, un grand poète, divers, multiple, heureux, follement inspiré, et prodigieusement virtuose, vient de se révéler définitivement ! »