Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t3.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée

A douter de moi-même une âpre volupté.
Je sens le cœur humain trop large pour mes strophes.
Le vieil air douloureux d’autres l’ont mieux chanté ;
Leur nom nourrit encor les clairons de la gloire.
Pour moi qu’un rigoureux destin laisse inconnu,
Je presse entre mes doigts la flûte usée et noire
Des pauvres, des railleurs et des fous. Son bois nu
Est plus doux qu’un baiser savoureux à ma bouche ;
Elle est ma confidente obscure et mon enfant
Et répond comme une âme à l’âme qui la touche.
Un passant, que mon cœur sait émouvoir, souvent
Au temps des raisins mûrs s’arrête pour l’entendre.
Je suis seul, et je joue, ignorant qu’il est là,
Tour à tour désolé, voluptueux ou tendre.
Chaque jour, sur les tons qu’hier elle modula,
Ma misère sanglote et demande l’aumône,
Et le passant muet songe et baisse le front ;
Il m’écoute, et revient, et trouve chaque automne
La flûte plus plaintive et mon mal plus profond.

(Le Semeur de Cendres.)