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L’ÉROS FUNÈBRE

Nuit d’ombre, nuit tragique, ô nuit désespérée !

J’étouffe dans la chambre où mon âme est murée,
Où je marche, depuis des heures, âprement,
Sans pouvoir assourdir ni tromper mon tourment.
Et j’ouvre la fenêtre au large clair de lune.

Sur les champs nage au loin sa cendre bleue et brune.
Comme une mélodie heureuse au dessin pur
La colline immobile ondule sur l’azur
Et lie à l’horizon les étoiles entre elles.
L’air frémit de soupirs, de voix, de souffles d’ailes.
Une vaste rumeur gronde au bas des coteaux

Et trahit la présence invisible des eaux.
Je laisse errer mes yeux, je respire, j’écoute
Les sombres chiens de ferme aboyer sur la route
Où sonnent les sabots d’un passant attardé.

Et sur la pierre froide où je suis accoudé,
Douloureux jusqu’au fond de l’âme et solitaire,
Je blasphème la nuit lumineuse et la terre
Qui semblent me sourire et m’ignorent, hélas !
Et sachant que la vie, à qui n’importe pas
Un cœur infiniment désert de ce qu’il aime,
Ne se tait que pour mieux s’adorer elle-même,
Je résigne l’orgueil par où je restais fort,
Et j’appelle en pleurant et l’amour et la mort.

« C’est donc toi, mon désir, ma vierge bien-aimée !
Faible comme une lampe à demi consumée
Et contenant ton sein gonflé de volupté,
Tu viens enfin remplir ta place ù mon côté.
Tu laisses défaillir ton front sur mon épaule,
Tu cèdes sous ma main comme un rameau de saule,
Ton silence m’enivre et tes yeux sont si beaux,
Si tendres, que mon cœur se répand en sanglots.
C’est toi-même, c’est toi qui songes dans mes bras.