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On fuit. À sa marche incertaine
S’ouvre un grand désert sans fontaine
Où pas un vivant n’est resté.

C’est une solitude immense
Aux implacables horizons,
Aux sables pleins de trahisons
Que roule un simoun en démence
Et qu’un lourd soleil ensemence
D’une semailles de tisons.

Pas un arbre ! Pas une tente !
Pas un fil d’ombre dans un coin,
Fût-ce l’ombre d’un brin de foin !
Pays de la soif haletante !
Et la Chimère à voix chantante
Dit : « Va plus loin, toujours plus loin ! »

Il va : « Tu meurs de chaud, fait-elle.
Si je cessais de te peser,
Devant ta soif, pour l’apaiser,
L’eau jaillirait en cascatelle.
— Ah ! dit-il, ma soif immortelle
Ne veut que l’eau de ton baiser. »

L’affreuse marche continue
Sous des tourbillons desséchants.
Puis, soudain, ces lugubres champs,
Au lieu d’être une arène nue,
Durcissent en lave cornue,
En silex aigus et tranchants.

Et la marche devient plus lente
Sur ces poignardant polypiers
Où les pieds sont estropiés,
Où se déchiquète leur plante
Dont la chair pend et choit, sanglante.
Tant que bientôt l’homme est sans pieds.

« Je suis la plus lâche des filles,
Gémit la Chimère, en restant
Sur ton dos où je pèse tant.
— Bah ! mes espoirs sont mes béquilles,
Dit-il. J’irai sur les chevilles
Là-bas où ton baiser m’attend ! »