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que, M. Verhaeren élargit de son souffle l’horizon de la petite patrie, et, comme le fit Balzac de son ingrate et douce Touraine, il annexe aux plaines flamandes le beau royaume humain de son idéalité et de son art. De la motte de terre natale ; du meneau en croix barrant un ciel d’enfance comme la vergue aux mâtures ; des plaines nourricières où se moissonna le pain de sa chair ; du vieux Cordier mystérieux et qui recule sans désespoir et comme volontairement le tournoiement de la roue de fortune ; du Passeur inlassable comme les flots mêmes, ployé impassible sur la rame vers un but qui se dérobe en mirage ; de la Ville bruissante au rythme formidable de l’action que peu savent scander, — simple, le Poète voulut faire et fit d’humains symboles où chacun du nous, largesse ! peut lire la destinée. »

Citons encore ces lignes de M. Albert Mockel qui nous montre en M. Émile Verhaeren le poète du paroxysme : « Il existe deux manières principales de poétiser. L’une, la classique, établit devant nous une harmonie de plastique pour ainsi dire palpable ; la seconde, qui est celle du moyen âge, appartient à une littérature plus simple, aux songes des pays germaniques ; elle a des naïvetés, un sourire de bonne foi, des yeux qui s’émerveillent, et elle dit comme sans y penser des paroles qui vont au fond de nous ; elle suscite en nous une harmonie invisible faite de nos sentiments. Émile Verhaeren assemble à la fois un peu de ces deux manières, en même temps qu’il s’en écarte avec rudesse, cassant et déchirant d’un seul coup l’harmonie marmoréenne des images et le tissu plus transparent des songeries, pour les unir en un éclair : le paroxysme. Le poète du paroxysme ne s’arrête presque jamais à combiner des plans par étages savamment gradués, à modeler les courbes d’un groupe sculptural. Pourtant, c’est par ses plans heurtés, les saillies de couleur, les images, qu’il captive surtout. Comme le poète de la suggestion et des paroles simples, il demande au lecteur d’achever par son émotion la vision qu’il a créée. Mais l’objet même de cette vision, au lieu de naître peu à peu, comme de l’âme rajeunie, avec des silences et de la musique épanouie, s’entasse par blocs d’ombre striés de térébrantes lumières. C’est un cri dans la fumée, de la peur en sursaut, un sifflet dans les ténèbres ; c’est le soudain appel d’héroïsme qui sonne la diane au soldat endormi et, d’un choc arraché à ses rêves, l’emporte avec des hurlements dans le tonnerre de la bataille. Cela n’est point l’harmonieuse beauté. Assurément ; mais ce peut être le Sublime. »

Tels les Tragiques, auxquels le relie une étroite parenté, M. Émile Verhaeren nous apparaît comme le poète du Mystère et des Destinées.

Dans les lignes qu’on va lire, M. Émile Verhaeren revendique pour le poète une entière liberté dans le choix de ses moyens d’expression.