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PRÉLUDE DE L’ELKOVAN


I


La brise fait trembler sur les eaux diaphanes
Les reflets ondoyants des palais radieux ;
Le pigeon bleu se pose au balcon des sultanes ;
L’air embaumé s’emplit de mille bruits joyeux ;
Des groupes nonchalants errent sous les platanes ;
Tout rit sur le Bosphore, et seuls les elkovans
Avec des cris plaintifs rasent les flots mouvants.

II


O pâles elkovans, troupe agile et sonore,
Qui descendez sans trêve et montez le courant !
Hôtes doux et plaintifs des ondes du Bosphore,
Qui ne vous reposez comme nous qu’en mourant !
Pourquoi voler ainsi sans cesse dès l’aurore,
Et d’Asie en Europe, et de l’aube au couchant,
Jeter sans fin ce cri monotone et touchant ?

III


Le peuple de ces bords vous vénère et vous aime ;
Le pêcheur vous salue en jetant ses filets ;
Les enfants du rivage et le chasseur lui-même
Ne déciment jamais vos rangs toujours complets ;
Et quand le soleil tombe à l’horizon extrême,
L’odalisque, entr’ouvrunt la vitre des Yalis,
Yous suit d’un long regard à travers le treillis,

IV


On dit, ô voyageurs ! que vous êtes les âmes
Des victimes sans nom qui dorment sous ces flots,
Corps souples et charmants d’ardentes jeunes femmes
Dont la nuit et l’horreur étouffaient les sanglots
Lorsque, cousus vivants dans des toiles infâmes,
L’eunuque les plongeait dans ce gouffre profond,
Muet comme la tombe et comme elle sans fond.