Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/88

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
THÉODORE DE BANVILLE


Nous sommes les petits lapins.
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons pas le Kant ;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux ;
Mais nous préférons qu’on se taise
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.

Étant des guerriers du vieux jeu,
Prêts à combattre pour Hélène,
Chez nous on fredonne assez peu
Les airs venus de Mitylène.

Préférant les simples chansons
Qui ravissent les violettes,
Sans plus d’affaire, nous laissons
Les raffinements aux belettes.

Ce ne sont pas les gazons verts
Ni les fleurs dont jamais nous rimes,
Et, qui pis est, au bout des vers
Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant ces clairières,
Nous sommes les tendres lapins
Assis sur leurs petits derrières.

(Sonnailles et Clochettes.)