Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/466

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


COMMENT NAQUIT LA POÉSIE


Adam était assis à l’ombre d’un grand chêne.
Le soleil déclinait, la nuit était prochaine ;
Les animaux repus dormaient dans les halliers ;
Et l’Homme, ayant fini ses travaux journaliers,
Triste, rêveur, songeant aux choses inconnues,
Regardait les oiseaux s’ébattre dans les nues.
Or, comme il contemplait l’immensité des cieux,
Adam sentit des pleurs qui coulaient de ses yeux.

« Mon Dieu, dit-il, pourquoi n’ai-je donc pas des ailes,
Afin de traverser les plaines éternelles ?
Avant de m’endormir du sommeil du tombeau,
Je voudrais voir ton ciel si paisible et si beau ;
Je voudrais m’élancer sur cette mer profonde
De nuages d’azur qui flottent sur le monde
Et mon cœur ulcéré se guérirait bientôt
Si je pouvais enfin jeter l’ancre là-haut ! »
A peine il achevait sa demande attristée,
Dieu lui dit :
Dieu lui dit : « Ta prière, Adam, est écoutée.
Tu souffres, tu voudrais des ailes à ton corps,
Pour voler à travers ce monde du dehors,
Où vivent les oiseaux sous le soleil de flamme ?
Homme, je donnerai des ailes à ton âme ! »

Et, depuis, la Pensée, avec des ailes d’or,
Dans le monde idéal prend souvent son essor,
Au gré de la Douleur ou de la Fantaisie.
— Et c’est ainsi que Dieu créa la Poésie.

(Les Dieux qu’on brise.)