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Alors la grande France aimante et sans rancune,
Semant ses jeunes blés sous les lauriers nouveaux,
Fêtera le Travail, père de la Fortune,
Et chantera la Paix, mère des longs travaux.

Car ce sera la Paix calme, sereine, auguste,
Qui désarme les bras sans armer les esprits ;
Car nous nous montrerons des vainqueurs au cœur juste,
Et nous ne reprendrons que ce qui nous fut pris.

Et notre Nation, lasse de funérailles,
En exaltant ses morts calmera ses vivants,
Et nous ne voudrons plus qu’on parle de batailles,
Et nous désapprendrons la haine à nos enfants.

Et ce ne sera plus qu’une immense allégresse
Qui frémira d’un bout à l’autre du pays,
Quelqu’un de ces transports comme en connut la Grèce,
Quand les Perses fuyaient de ses champs envahis.

Heureux, heureux alors les poètes de France
Dont l’âme n’aura pas porté notre long deuil !
Ils chanteront l’amour, comme nous la souffrance.
Comme nous de colère, ils frémiront d’orgueil.

Quant à moi, le farouche et vieux crieur de guerre,
Que je survive ou non au choc libérateur,
Mon œuvre, je le sais, ne lui survivra guère
Et mes Chants du soldat n’auront plus de chanteur.

Oui, oui, l’heure viendra — qui prévoit peut prédire —
Où ces cris de fierté chers au pays vaincu,
Au pays consolé sembleront un délire ;
Où nul ne comprendra la haine où j’ai vécu.

Car, forgeron brutal et tout de violence,
Je frappais à grands coups pour frapper à coups sûrs,
Et mes vers martelés comme des fers de lance
Ne sont pas un trophée à placer sur des murs.

Non, non ! C’est avant tout une arme populaire,
Un épieu dans les bois au hasard ramassé
Qui, le combat fini, tombe avec la colère,
Ou reste dans la plaie après qu’il a blessé.