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Au sein dos bois sacrés le temps coule limpide,
La peur est ignorée et la mort est rapide ;
Aucun être n’existe ou ne périt en vain.
Et le vainqueur sanglant qui brame à la lumière,
Et que suit désormais la biche douce et fière,
A les reins et le cœur bons pour l’œuvre divin.

L’Amour, l’Amour puissant, la Volupté féconde,
Voilà le dieu qui crée incessamment le monde,
Le père de la vie et des destins futurs !
C’est par l’Amour fatal, par ses luttes cruelles,
Que l’univers s’anime en des formes plus belles,
S’achève et se connaît en des esprits plus purs.


(Les Poèmes dorés.)


LA MORT DU SINGE


Dans la serre vitrée où de rigides plantes,
Filles d’une jeune île et d’un lointain soleil,
Sous un ciel toujours gris, sommeillant sans réveil,
Dressent leurs dards aigus et leurs floraisons lentes,

Lui, tremblant, secoué par la fièvre et la toux,
Tordant son triste corps sur des lambeaux de laine,
Entre ses longues dents pousse une rauque baleine
Et sur son sein velu croise ses longs bras roux.

Ses yeux vides de crainte et vides d’espérance
Entre eux et chaque chose ignorent tout lien ;
Ils sont empreints, ces yeux qui ne regardent rien,
De la douceur que donne aux brutes la souffrance.

Ses membres presque humains sont brûlants et frileux ;
Ses lèvres, en s’ouvrant, découvrent les gencives ;
Et, comme il va mourir, ses paumes convulsives
Ont caché pour jamais ses pouces musculeux.

Mais voici qu’il a vu le soleil disparaître
Derrière les huniers assemblés dans le port ;
Il l’a vu : son front bas se ride sous l’effort
Qu’il tente brusquement pour rassembler son être.

Songe-t-il que, parmi ses frères forestiers,
Alors qu’un chaud soleil descendait des cieux calmes,