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On n’entend plus le cri de l’hirondelle !
La sève a peur sous le froid qui la mord ;
Tout fait silence ; et, seul, l’amour fidèle
Chante et fleurit au souffle de la mort.


(Les Pommiers en fleur.)


EN MÉMOIRE D’UN ENFANT

I

Ce qui nous émeut tant devant le mal d’un autre,
Est-ce un pressentiment qu’il deviendra le nôtre ;
Et l’homme, en son prochain, ne plaint-il donc si fort
Que lui-même, ou l’image exacte de son sort ?
Pitié naïve ! — Un jour, dans mon passé prospère
(Comme ce jour est loin !), je vis pleurer un père
Qui, le front nu, suivait, pâle, un petit cercueil ;
Et jusqu’au fond de moi pénétra tout le deuil
Qu’il traînait sous le ciel ; et toute sa souffrance
Vint assaillir mon coeur, alors fou d’espérance.
« Quoi ? mort, son seul enfant !… » Hélas ! je devais bien,
Dès cet instant, prévoir qu’on me prendrait le mien.

II

Le soir, après avoir veillé tard sur un livre,
Quand ma lampe charbonne en son cercle de cuivre,
Quand, au loin, dans Paris silencieux et noir,
L’écho des derniers pas meurt le long du trottoir,
Je sors de mon travail fiévreux, comme d’un rêve.
Je dégage mon front de mes mains ; je me lève
Péniblement, les yeux obscurcis, l’esprit las.
A travers ma langueur minuit sonne son glas ;
Il faut se reposer, c’est l’heure coutumière.
Je pousse le fauteuil, j’emporte la lumière
Et je gagne la chambre à coucher. Mais devant
La pièce où sommeillait naguère notre enfant ;
Je crains (c’est un retour de l’ancienne habitude),
Je crains, dans ce silence et cette solitude,
De faire trop de bruit. Je marche à petits pas,