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Ils sont loin, les songeurs de Milet et d’Élée
Qui, pour vaincre en un jour tout l’inconnu d’emblée,
Tentaient sur l’univers un fol embrassement !

« Nous ne nous flattons plus, comme ces vieux athlètes,
De forcer, sans flambeau, les ténèbres complètes,
Pour saisir à tâtons ce monstre corps à corps ;
Il nous suffit, à nous, devant le sphinx énorme,
D’éclairer prudemment de point en point sa forme,
Et d’en lier les traits par de justes raccords.

« Ils sont loin, les rêveurs subtils d’Alexandrie,
Et ceux qui reniaient la terre pour patrie !
Nous ne nous flattons plus de la fuir, aujourd’hui :
A quelque évasion que l’air pur nous invite,
L’air même est notre geôle, avec nous il gravite,
Il est terrestre encor, et tout l’azur c’est lui !

« Mais la terre suffit à soutenir la base
D’un triangle où l’algèbre a dépassé l’extase ;
L’astronomie atteint où ne ment plus l’azur :
Sous des plafonds fuyants chasseresse d’étoiles,
Elle tisse, Arachné de l’infini, ses toiles,
Et suit de monde en monde un fil sublime et sûr.

« Montés pour redescendre avec la même charge,
Nos corps lourds n’auront pu que faire un pas plus large,
Un orbe un peu plus haut sur le sol en rampant,
Mais nous aurons du moins goûté la certitude,
Ce qu’en vain demandaient les pères de l’étude
A leurs fronts isolés qu’ils s’en allaient frappant.

« Et peut-être plus tard, si la pensée humaine
Touche au fond du mystère en tirant sur sa chaîne,
Le chiffre sans éclat qu’au ciel nous aurons lu,
Longtemps enseveli comme une valeur nulle,
Doit surgir glorieux dans l’unique formule
D’où le problème entier sortira résolu ! »